mercredi 28 février 2018

Mon avis sur "Les vivants au prix des morts" de René Frégni

Il y a des auteurs qui marquent dès la première rencontre, René Frégni est de ceux-là. Je l'ai rencontré à l'occasion de la remise du Prix des Lecteurs Gallimard 2017 qu'il a remporté pour son dernier roman, Les vivants au prix des morts. Sa personnalité et son discours de remerciements, loin d'être rébarbatif et ennuyeux, ont de suite séduit l'assistance. C'est que René Frégni est un auteur singulier. Il a connu une existence mouvementée avant de se consacrer à l'écriture. Il a exercé divers métiers, dont celui d'infirmier psychiatrique et a longtemps animé des ateliers d'écriture à la prison des Baumettes. Il est l'auteur d'une quinzaine de romans, tous imprégnés de ses voyages et de son expérience avec des détenus. Les vivants au prix des morts  n'échappe pas à la règle.

À Marseille, René n’y va plus que rarement. Il vit à Manosque et  préfère marcher dans les collines de l’arrière-pays, profiter de la lumière miraculeuse de sa Provence et de la douceur de son Isabelle. Il va toutefois être contraint de retrouver la ville pour rendre service à Kader, un encombrant revenant. René a connu Kader  lorsqu’il animait des ateliers d’écriture à la prison des Baumettes. Kader  c'est une belle gueule de voyou spécialiste de l’évasion. Lorsque le 22 janvier 2016, René soulève le clapet de son vieux téléphone, il ne sait pas encore que ce simple geste va changer le cours de sa vie. Kader s'est une fois de plus évadé. Traqué par toutes les polices, en quête d’une planque, c'est à Manosque qu'il débarquera. Dès lors, il est à craindre que le prix des vivants soit fortement revu à la baisse…

Les vivants au prix des morts est le cahier rouge que René a commencé à noircir le 1er Janvier 2016 sous un cerisier glacé. Il le refermera le 25 décembre 2016, le sourire aux lèvres. Entre temps, René connaîtra le stress, l'angoisse, la peur. René, c'est un peu René Frégni lui-même. Il se met en scène. Il loue la douceur de vivre que sa Provence et sa douce Isabelle lui procurent. Il vante la beauté de la nature qui l'entoure, son amour des mots jusqu'au moment où une pointure du banditisme fera une irruption fracassante dans son monde au même titre que le danger. Commence alors un face-à-face entre le silence de l’écriture et celui des quartiers d’isolement, entre la petite musique des mots et le fracas des balles. Au fil de l’intrigue, René Frégni entraîne le lecteur de surprise en surprise, tout en célébrant de son écriture brutale et sensuelle la puissance de la nature et la beauté des femmes. En outre, Les vivants au prix des morts est un véritable plaidoyer contre la prison. Pour René Frégni personne ne naît monstrueux, ce sont les quartiers et les prisons qui rendent monstrueux.
 
Aucun doute, en mêlant sensualité et brutalité, René Frégni nous offre un magnifique roman noir contemporain dont les héros sont deux enfants de Marseille que tout semble opposer, si ce n'est leur profonde humanité. Les vivants au prix des morts est un roman à lire et René Frégni un auteur à découvrir.

Belle lecture !

jeudi 15 février 2018

Mon avis sur "L'ordre du jour" d'Eric Vuillard

Avoir entre les mains le dernier prix Goncourt génère forcément une certaine émotion, mais lorsque c'est un être cher qui vous l'a offert, celle-ci est d'autant plus intense. Bienvenue dans l'antichambre de la seconde guerre mondiale.
 
L'ordre du jour s’ouvre cinq années plus tôt, le 20 février 1933. Ce jour-là, ils étaient vingt-quatre, près des arbres morts de la rive, vingt-quatre pardessus noirs, marron ou cognac, vingt-quatre paires d'épaules rembourrées de laine, vingt-quatre costumes trois pièces, et le même nombre de pantalons à pinces avec un large ourlet. Vingt-quatre dirigeants des plus importantes entreprises allemandes (Krupp, Opel, Siemens…) sont reçus par Herman Goering et Adolf Hitler, chancelier depuis un mois. Lors de cette réunion, le Führer tient un discours simple : pour en finir avec le communisme et retrouver la prospérité, il doit remporter les élections législatives du 6 mars. Invités à financer la campagne du parti nazi, les vingt-quatre patrons versent sans sourciller leur généreuse obole. Une banale levée de fonds en somme qui permettra cinq années plus tard, à l'Allemagne nazie d'annexer l'Autriche, le fameux Anschluss.
 
C'est à coup de petites anecdotes, qu'Eric Vuillard nous embarque dans les coulisses de l'Histoire pour donner à voir l'envers du décor. Il épingle avec ironie et cynisme les petites lâchetés des grands hommes qui font et défont l’Histoire.
Le récit est aussi bref qu'incisif, la démonstration implacable. Eric Vuillard ne se limite pas à dénoncer la collusion entre politique et monde économique et financier. En 150 pages, il montre comment « les plus grandes catastrophes s’annoncent souvent à petit pas » et « soulèvent les haillons hideux de l’histoire".

L'ordre du jour est un  récit court mais puissant, intelligemment construit. Il alerte sur la manipulation des uns, la lâcheté des autres qui conduisent insidieusement à l'acceptation d'idées nauséabondes.
L'ordre du jour est à lire pour la plume d'Eric Vuillard et son érudition. Ce récit est clair et éclairant, pour autant, méritait-il le prix Goncourt ? C'est un tout autre débat qui n'est pas à l'ordre du jour et que l'histoire tranchera peut-être un jour...

Belle lecture !